Dans le vaste répertoire des stratagèmes dont dispose l’ego pour diriger notre vie, il y a celui qui consiste à nous amener à nous comparer aux autres. Ainsi, devant une insatisfaction, une difficulté, un blocage que nous ressentons dans un domaine de notre vie, il va nous porter à trouver des gens qui semblent dans un plus grand désarroi, une plus grande détresse que la nôtre, cela afin de nous inciter à minimiser notre situation, à la relativiser et donc, à ne rien entreprendre pour la changer.
Imaginons que vous éprouviez un problème, peu importe lequel – ce peut être le fait d’être en mauvaise santé, de manquer de temps pour vous, de vivre des échecs amoureux à répétition, etc. Cette situation, cette caractéristique que vous voudriez transformer, donnons-lui un aspect tangible, disons qu’il s’agit du terrain autour de votre demeure. Chaque jour lorsque vous regardez dehors, quand vous sortez dans l’allée menant à votre auto ou que vous êtes sur votre patio, vous constatez que votre gazon est en mauvais état : clairsemé, jauni, parsemé de mauvaises herbes, peut-être infesté de punaises ou d’une autre tare qui vous embête, vous pourrit la vie.
Vous aimeriez avoir une belle pelouse verte et fournie, en santé, florissante, mais vous ne connaissez pas grand-chose au jardinage. Vous ne savez pas comment vous y prendre, vous vous sentez perdu, la tâche vous semble tellement ardue (d’autant que vos rares expériences passées avec des plantes se sont avérées des fiascos).
Bref, vous vous sentez impuissant : vous voulez changer les choses, mais ignorez comment faire.
À ce moment, l’ego pourrait venir à votre secours en vous disant ceci :
- Regarde le gazon du voisin ! Il est bien moins beau que le tien, il est dans un état bien plus lamentable que le tien !
Et vous de répondre :
- Ouais… Je regarde dans sa cour et, ma foi, tu as raison… Finalement, quand j’y réfléchis bien, mon gazon n’est pas en si mauvaise condition après tout… Quelques plaques ça et là, oui, mais bon, ça va repousser tout seul, j’imagine… Même que ça me fait penser qu’au bout de la rue, il y a des gens qui vivent dans une tour en béton où il n’y a même pas de cour du tout, pas de jardin, pas d’arbre, rien ! Fiou ! Ce n’est vraiment pas si grave quand j’y réfléchis bien… Moi, au moins, j’ai du gazon, même s’il a des défauts. Après tout, rien n’est jamais parfait dans la vie, je vais m’en contenter. Quand je pense que je me plaignais le ventre plein ! Quelle personne ingrate je suis ! Et puis, j’y pense, je me rappelle que dans plusieurs villes du monde, l’espace est très restreint, les habitants n'ont même pas de jardins, pas de parcs, l’air est très pollué… Ils sont vraiment dans une situation bien plus déplorable que la mienne… (Etc.)
Et donc, sur la base de ce raisonnement comparatif, vous n’allez prendre aucune action pour réparer votre pelouse, pour améliorer cette situation, ce problème auquel vous auriez voulu remédier. Vous allez l’endurer. Vous allez minimiser votre inconfort, continuer de supporter jour après jour votre état qui, bien sûr, se dégradera avec le temps, contrairement à ce que l’ego vous fait miroiter. Avec sa complicité, vous allez vous cacher à vous-même la difficulté sans rien entreprendre pour la corriger.
Aïe !
Qui se compare se console, à tort. Car ce stratagème porte à l’inaction sur la base qu’un autre individu que vous-même serait dans une situation pire que la vôtre. L’ego prend ainsi assise sur la comparaison avec autrui pour vous amener à évaluer le bien-fondé de votre propre bien-être, de vos aspirations personnelles. Il fausse votre rapport avec vous-même en y introduisant « l’autre ».
Or, ce que les autres vivent ou ne vivent pas leur appartient, à eux. Vous n’êtes pas à leur place, vous ne connaissez pas leurs rêves de bonheur, leurs situations individuelles, leurs vécus : chacun est unique et différent. Alors, pourquoi mesurer votre niveau de bien-être par rapport à celui du voisin ?
L’exercice comparatif, quel qu’il soit, émane de l’ego. Il pousse à évaluer votre degré d’« adéquation » (de conformité), de malheur ou de bonheur, en regardant autrui, peu importe de qui il s’agit, que vous le connaissiez ou pas, qu’il soit un de vos proches ou une masse informe de gens à l’autre bout du monde. Il vous incite à juger votre vie, votre situation, votre bonheur individuel par rapport aux autres et non par rapport à vous-même dans le moment présent, selon votre ressenti, vos valeurs, vos aspirations.
Prenons un autre exemple. Vous vivez beaucoup d’insatisfaction au travail, mais vous ne savez pas comment y remédier. Le poste que vous occupez depuis un certain temps ne répond plus à ce que vous êtes devenu aujourd’hui, mais envisager un changement d’entreprise ou même de domaine professionnel vous fait peur.
L’ego, toujours prêt à vous secourir lorsque vous êtes en détresse – c’est son rôle – va vous inciter à trouver quelqu’un dont la situation à ce chapitre est vraiment pire que la vôtre. Et voilà que, à force de réfléchir (l’esprit est le domaine de l’ego, qui utilise la pensée et les émotions pour vous contrôler), vous en venez à songer à tous ces pauvres gens qui n’ont même pas d'emploi ! Vous êtes en train de vous comparer à « eux » (cette masse d'individus indéfinie, imprécise, dont vous n’avez aucune connaissance directe : les sans-emplois) ce qui vous poussera à continuer de supporter vos insatisfactions. Car, après tout, vous, au moins, vous avez un emploi !
Vous vous dites :
- Au moins, j’ai de quoi me nourrir et payer mes factures tandis qu’ailleurs dans le monde, quantité de gens n’ont même pas un toit sur la tête et meurent de faim !
Euh, mais en quoi le fait qu’une partie de l’humanité vive dans la pauvreté et le dénuement peut vous aider à améliorer votre vie ? Pourquoi consentir à être « solidaire » de cette misère, à rabaisser, diminuer, rapetisser vos rêves d’épanouissement sous prétexte que certains expérimentent l’indigence ? Ce raisonnement paraît insensé, mais c’est pourtant celui que l’ego vous amène à faire, avec un très haut taux de succès !
Lorsqu’il vous entraine sur cette piste, il banalise votre condition actuelle que vous aspirez à changer en vous en voulant vous sentir mieux.
Il vous dit :
- Regarde, regarde, monsieur X-Y-Z, lui il a de bonnes raisons d’être malheureux ! Mais toi, regarde ce que tu as, au moins tu as ceci et cela, de quoi te plains-tu ? (Sous-entendu : « Contente-toi de ce que tu as sans chercher à améliorer ton sort ».)
Et si vous êtes vraiment « chanceux » (sarcasme…), l’ego vous ramènera en mémoire certaines personnes que vous connaissez directement qui ont déjà été en grandes difficultés conséquemment à une perte d’emploi. Ou, encore mieux, il vous remémorera cette période, jadis, où vous-même étiez sans emploi et toutes les privations que cette situation avait générées dans votre vie. Ainsi, vous persisterez à ne rien entreprendre pour améliorer votre sort, la peur vous gardant emprisonné, attaché à votre situation actuelle.
L’exercice comparatif entraine toujours des souffrances, c’est son seul but.
Ressentir de l’insatisfaction, un malaise, un inconfort, une souffrance devrait mener à une recherche intérieure honnête de ce qui cause cet état, à aller voir en soi. Puis, à entreprendre des correctifs afin d’y remédier (sachant qu’il arrive que la véritable source d’un problème puisse différer de celle que nous avions identifiée au départ). Si vous vous sentez dépourvu pour amorcer cette démarche, de l’aide pourrait être nécessaire pour que vous puissiez y parvenir, par vous-même. Mais souvent, l’ego présente le travail à effectuer comme très intimidant, voire impossible, ce qui vous freine.
L’ego a une sainte horreur du changement. Le statu quo est sa spécialité. Il ne veut pas que vous changiez, il veut vous maintenir dans la souffrance, car il s’en nourrit : vos émotions négatives sont sa nourriture, vous êtes son garde-manger. Il n’a aucun intérêt à ce que vous amélioriez votre sort !
Le premier pas pour commencer à améliorer sa vie, c’est d’accepter de prendre conscience et d’évaluer ses propres difficultés et ses aspirations, seul avec soi-même, face à face. Sans s’occuper du voisin ni du passé, qui est passé. Comment croyez-vous que le passé se répète dans le présent, si ce n’est parce que vous-même le maintenez en vie ? Ce mode de pensée mène au cycle de la répétition dans le futur, puisque le seul moment où nous créons, c’est le présent.
Alors, peut-être est-il temps de commencer à agir autrement, à laisser le passé dans le passé et les voisins chez eux pour plutôt vous poser cette question : qu’est-ce qui, pour MOI, aujourd’hui, n’est pas acceptable et que je tolère quand même ? Répondez honnêtement. Acceptez les réponses qui viendront, sans les juger, les cataloguer, sans vous demander comment vous allez vous y prendre pour changer les choses. Juste accepter de voir vos insatisfactions en face. Voilà le début du chemin de guérison. Le point de départ est votre intention, votre intention d'entreprendre un changement, d'améliorer votre vie. Ensuite, vous aurez bien sûr à agir, mais au départ, il est nécessaire de cesser de se mentir à soi-même. Tant que l’alcoolique refuse de reconnaître sa dépendance, son problème, aucune guérison n’est possible.