Nous vivons dans une société de plus en plus sécularisée, déconfessionnalisée, laïcisée. Au Québec, au sortir de la Grande Noirceur, le duplessisme, dont le pilier était l’alliance de l’État et du religieux, nous avons traversé la Révolution tranquille, le mouvement féministe, pour ne nommer que ces étapes sur le long chemin de libération des dictats ecclésiastiques qui nous dirigeaient collectivement, dans la vie publique via les lois, les institutions, et individuellement, dans nos manières de penser et d’agir. Si bien qu’aujourd’hui, les curés ne contrôlent plus les naissances, les bonnes sœurs les mœurs des jeunes filles et le crucifix ne surplombe plus le siège de la personne qui préside l’Assemblée nationale.
Ce détachement d’avec le religieux constitue une évolution sans précédent puisque l’humain et les sociétés qu’il a bâties s’est très tôt relié à une forme ou une autre de religiosité, de puissance supérieure normée et externe à lui-même. Je ne traiterai pas de l’histoire des religions dans le monde, ce n’est pas mon propos, mais pensons seulement aux panthéons de divinités de la Grèce antique, de l’Inde ou aux spiritualités autochtones peuplées d’esprits et de rituels.
Cette évolution, comme toute évolution, amène son lot de remises en question, d’ajustements, d’allers-retours. Retrouver l’équilibre après de tels bouleversements, ce n’est pas chose facile. Que conserver ? Que jeter ?
Au cours de ce phénomène, progressif, les réactions de chacun ont varié, continuent d’être multiples et de fluctuer.
Certains d’entre nous ont rejeté le divin et toute forme de puissance immatérielle, menant une existence dénuée de toute spiritualité, strictement matérialiste, rationnelle. Ceux-là croient à la science, à ce qui est vérifiable, démontrable, tangible. Ils ont jeté le bébé avec l’eau du bain, sacrifiant la spiritualité dans son essence véritable (le bébé) en se débarrassant de la religion (l’eau salie).
D’autres, face au vide abyssal laissé par la disparition du religieux, l’ont remplacé (souvent à leur insu) par d’autres croyances, prismes ou filtres, continuant de suivre à divers degrés des canevas, des modèles établis par autrui, quel que soit le nom de la doctrine adoptée. Philosophie, psychologie, New Age, yoga, ésotérisme, développement personnel, la liste et longue, l’humain ayant l’imagination fertile ! Le point commun de ces manières d’aborder et de penser la vie, que je pourrais qualifier de religions modernes, c’est qu’elles excluent la recherche intérieure individuelle. Elles dispensent l’individu d’effectuer le travail, difficile, d’entreprendre de retrouver ses propres vérités en lui fournissant recettes, règles, réponses, une voie à suivre qui, supposément, le conduiront à une sorte d’illumination et lui éviteront une forme ou l’autre de déchéance. Aborder une même problématique sous l’angle sociologie, scientifique, historique, religieux, philosophique, métaphysique, etc. mènera à des résultats différents ; les réponses obtenues changeront selon le modèle d’analyse choisi au départ.
D’autres encore continuent d’aller à la messe de minuit, de communier, de se marier à l’église, de faire baptiser leurs nouveau-nés et de donner à la quête, à la capitation, par simple habitude, convenance. Ces rites sont devenus des coutumes familiales pratiquement dénuées de sens religieux. À moins que, pour certains, leur observance se poursuive au nom d’une certaine crainte que, peut-être, l’enfer et la damnation existent véritablement ? Mieux vaut donc ne pas tenter le diable et assurer ses arrières. La vie intérieure, une démarche personnelle autonome ne font pas vraiment partie de leurs champs d’intérêt, ils sont mis de côté souvent au profit du « faire » : ne pas se questionner permet de ne pas recevoir de réponses déplaisantes, dérangeantes.
D’autres vont se dire religieux, mais « plus ou moins pratiquants » ou « plus ou moins croyants ». Ils font du cherry picking, ce qui procure l’illusion de se faire eux-mêmes leur propre « spiritualité-religieuse ». Là encore, les croyances ainsi conservées émanent d’autrui et ne sont pas les réponses trouvées par suite d’un vécu personnel, d’une quête intérieure. C’est un peu comme ignorer certaines règles du Monopoly tout en continuant d’y jouer : on s’accommode de ce qui nous convient, délaissant des normes jugées désuètes ou trop contraignantes.
Et certains, enfin, sont entrés dans une véritable compréhension de ce qu’est, fondamentalement, la spiritualité.
Les dictionnaires expliquent que la spiritualité a trait au domaine de l’esprit, de l’âme, à ce qui est immatériel et qui concerne sa vie, ses aspirations, ses valeurs personnelles.
La spiritualité est invisible, mais guide nos vies, nos choix, nos actions.
Ne pas avoir de spiritualité, c’est donc ne pas avoir de vie intérieure. Ce qui, d’une certaine manière, paraît invraisemblable, à moins d’être un robot dénué de conscience (c’est en route, le développement de « l’intelligence artificielle » est à nos portes). Car chaque humain est doté du libre arbitre, modulé selon son niveau de conscience ; il effectue des choix, mène sa vie en fonction de certaines valeurs y compris celles de ne pas croire en une vie spirituelle…
Cela dit, encore de nos jours, la majorité assimile religion et spiritualité. Entrez le mot « spiritualité » sur Google et voyez défiler des pages de sites et d’organismes religieux.
Le Québec est laïque, c'est à dire que l'État n'est plus gouverné, associé au religieux. Néanmoins, plusieurs incongruités persistent, relents d'un passé où le pouvoir politique marchait main dans la main avec le religieux. Par exemple ,les écoles, les hôpitaux et centres de soins publics proposent des services spirituels (l’intervention en soins spirituels et l’animation spirituelle et engagement communautaire) par l’entremise de personnel dont la formation universitaire impose le passage par les départements de théologie. Bien que leurs bénéficiaires puissent recevoir un accompagnement strictement laïque, selon leurs croyances, ces « aumôniers modernes » demeurent dûment formés au religieux et à leurs différents rites.
L’étude universitaire du phénomène spirituel en tant que champ de recherche autonome est inexistant au Québec, au Canada comme dans la quasi-totalité des pays démocratiques. Il est invariablement rattaché à la théologie ou, accessoirement, à une discipline comme la philosophie, l’anthropologie, l’histoire ou une autre spécialité apparentée.
Nos chartes des droits et libertés de la personne protègent nommément la liberté de conscience et la liberté de religion. Pourtant, alors que la liberté de religion a fait l’objet de revendications et d’applications multiples, la liberté de conscience est pratiquement restée lettre morte. Très rarement invoquée, la portée la plus tangible qu’elle ait reçue est son assimilation au végétarisme.
Ces quelques exemples illustrent que de nos jours, la spiritualité continue d’être associée, sinon amalgamée, au religieux.
Alors qu’il existe des différences fondamentales entre les deux : la spiritualité est intérieure, personnelle, expérientielle et évolutive tandis que la religion revêt un aspect collectif, normé, externe à soi et coercitif.
Chacun est habité par une certaine quête de sens, car nous ignorons nos origines et la ou les raisons de notre présence sur terre. Qui suis-je ? Quelle est ma mission ? Qu’advient-il lorsque nous mourrons ? À ces questions et à bien d’autres encore les religions sont venues fournir les réponses manquantes ; tout est écrit dans des textes.
En créant et en se rattachant à des dieux multiples, les humains d’antan – qui se trouvaient plongés dans un monde hautement inhospitalier, périlleux (famines, guerres, maladies, etc.) – cherchaient ainsi un refuge, une sécurité. L’humanité vivait strictement au niveau de l’instinct : la loi du plus fort régnait, souvent, c’était tuer ou être tué. Des croyances, des « vérités » supposées dicter une voie de salut vers un paradis (gagner son ciel), donc une manière de se libérer de l’enfer, furent établies.
Or, ces textes religieux et leurs prescriptions, qui peut certifier de leur véracité et leur authenticité ? Qui peut attester de l’enfer, du paradis et à coup sûr le chemin pour éviter l’un et arriver à l’autre, si tant est qu’ils existent ? Néanmoins, les croyances religieuses – multiples, variables, selon les religions, les époques, les interprétations – furent adoptées par les humains, notamment par crainte de la damnation éternelle.
Aujourd’hui, celles et ceux qui prennent conscience de ces conditionnements qui nous affectaient se retrouvent avec les mêmes questions existentielles – la quête d’identité et du sens de la vie demeurent – mais sans adhérer aux réponses fournies par les religions. Le détachement d’avec le religieux donne la possibilité d’ouvrir la porte, intérieure, vers notre spiritualité, authentique. C’est le début du chemin de la découverte de nous-mêmes, de nos propres vérités, uniques, du sens de notre vie : nous entreprenons de rechercher les informations manquantes profondément enfouies en nous.
Même si nous avons reçu une éducation dénuée de religiosité, leurs normes nous ont quand même été transmises, à certains degrés, sous forme de conventions sociales, coutumes familiales. Elles demeurent inscrites en nous tant et aussi longtemps que nous n’en prenons pas conscience, par un travail de détection, de repérage au quotidien. Cela s’effectue par le questionnement intérieur, par le fait d’accepter de réévaluer nos modes de penser et d’agir afin de les confronter à nos valeurs présentes.
Lorsque ces modes de fonctionnement, manières de voir la vie ne nous correspondent pas, il s’agit alors d’accepter de les effacer pour les remplacer par ce qui concorde, qui est en accord avec nos valeurs actuelles. Cela s’appelle le changement !
Se départir de ces habitudes, souvent des automatismes, n’est pas chose aisée. Du temps, de la volonté et de la persévérance seront nécessaires. Sans en être vraiment conscients, nous dirigions notre vie non à partir de nos valeurs, mais d’après des règles qui nous furent transmises de génération en génération. Nous avons à défaire ce que croyions que nous étions, pour rebâtir avec ce que nous sommes. Et pour ajouter à ce travail déjà considérable, les membres de notre entourage qui continuent de fonctionner selon ces conditionnements feront obstacle à nos nouveaux choix.
Avoir l’intention de se dissocier, de rompre avec ce qui n’émane pas de notre essence et qui nous fut imposé ou que nous avons accepté comme « vérité » (croyance), vouloir retrouver nos propres réponses, enfouies profondément en notre intérieur, c’est cette intention qui entame le chemin. Bon voyage à celles et ceux qui auront le courage d’entamer ce trajet vers leurs vérités !